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Blind Runner

Texte et mise en scène Amir Reza Koohestani, Mehr Theatre Group, spectacle en persan surtitré en français – au Théâtre de la Bastille, dans le cadre du Festival d’Automne.

© Benjamin Krieg

Elle, est prisonnière politique, son mari lui rend fréquemment visite, attitudes et états d’esprit fluctuent. Sous le regard des caméras de surveillance le fossé se creuse, le quotidien de la prison ne se raconte guère. Leur point commun, la course, qu’ils essaient de pratiquer l’un et l’autre, de chaque côté du mur de séparation : « On inspire, on expire ensemble » jusqu’à ce qu’elle lui fasse savoir qu’en fait rien ne lui manque, si ce n’est le marathon. » Une troisième figure vient s’intercaler, celle d’une jeune femme devenue aveugle suite à une balle reçue lors d’une manifestation. Comme eux qu’elle a rencontrés, elle espère fuir son pays pour rejoindre l’Angleterre. Pour y arriver, elle s’entraine à courir avec détermination, son projet étant de couvrir de nuit les vingt-sept kilomètres du tunnel sous la Manche pour en minimiser les risques.

© Benjamin Krieg

Un jour, la femme cherche à convaincre son mari de guider la jeune aveugle lors d’une course qui se tient à Paris, à laquelle elle doit participer et recevoir une médaille. Ill finit par accepter, la conversation entre eux est devenue si difficile. Il s’entraîne avec elle, une jeune femme banale, dit-il, à la recherche d’un rythme commun. De France, elle le retient et tous deux prennent la décision de ne pas rentrer et de tenter ce passage pour l’Angleterre auquel elle a tant rêvé, de nuit, et le plus rapidement possible pour ne pas risquer d’être percutés par le premier train du matin.

Quand ils pénètrent dans le tunnel, en courant, et que défilent les murs qu’ils longent, la caméra se substitue aux yeux défectueux de la jeune aveugle, et la bande-son entre en action. Alors survient le vrombissement d’un train.

La forme du spectacle, très rigoureuse, met en jeu l’image qui fait le va-et-vient entre les personnages au plateau, le couple, côte à côte et qui ne se touche pas, et les gros plans de leurs visages qui s’affichent sur un immense écran, en fond de scène. Le couple court réellement sur scène et s’épuise. Et l’image, comme le plateau nu, donne une impression d’immensité, alors qu’on est dans le parloir de la prison. L’image traduit l’espace de liberté auquel ils aspirent.

Derrière cette métaphore de la recherche de liberté par la course, Amir Reza Koohestani, auteur et metteur en scène iranien, parle de sa vie, de la société iranienne, de ses espoirs. Il a personnellement tenté la course et éprouvé cette illusion de libération d’une part, d’autre part il a observé les images des Jeux paralympiques de Tokyo que lui montrait la dramaturge, où des aveugles courent de toute leurs forces, attachés l’un à l’autre par la main. Enfin, derrière son récit se profile le sort de nombreux prisonniers politiques et se joue le destin d’une population souvent privée de ses droits.

© Benjamin Krieg

Né en 1978 à Shiraz, Amir Reza Koohestani écrit dès l’âge de 16 ans, puis suit des cours de mise en scène et de réalisation. Il tourne deux films restés inachevés avant de se consacrer à l’écriture de pièces de théâtre, il a 20 ans. Sa troisième pièce, Dance on glasses, est présentée au Théâtre de la Bastille en 2005 et le projette sur les scènes européenne et internationale. Depuis il en a écrit et monté beaucoup d’autres, dont Hearing qu’il a présentée au Théâtre de la Ville de Téhéran en 2015 avant de la présenter au Festival d’Avignon, puis au Théâtre de la Bastille, en 2016. Elle est le second volet d’une Trilogie dont la première s’intitule Timeloss, présenté en 2014 au Théâtre de la Bastille et la troisième Summerless, présentée au Théâtre National de Bretagne à Rennes, en 2018.

L’actrice et l’acteur qui interprètent les personnages de Blind Runner, Ainaz Azarhoush et Mohammad Reza Hosseinzadeh, ne ménagent pas l’énergie que demande la course, et intériorisent en même temps ce qui ne peut se dire, ils sont remarquables. La facture du spectacle par ailleurs interpelle par sa sobriété et met en lumière ce que privation de liberté, silence, et répression, veulent dire.

Brigitte Rémer, le 28 octobre 2023

Avec : Ainaz Azarhoush et Mohammad Reza Hosseinzadeh. Dramaturgie Samaneh Ahmadian – assistant à la mise en scène Dariush Faezi – lumières et scénographie Éric Soyer – vidéo Yasi Moradi, Benjamin Krieg – musique Phillip Hohenwarter, Matthias Peyker – costumes Negar Nobakht Foghani – traduction française et adaptation surtitrage Massoumeh Lahidji – opératrice surtitres Negar Nobakht Foghani – directeur de production Pierre Reis – Bureau Formart – assistante logistique et communication Yuka Dupleix – Bureau Formart

Du 5 au 20 octobre 2023, au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette. 75011. Paris – sites : www.theatre-bastille.comwww.festical-automne.comwww.mehrtheatregroup.com – tél. : 01 43 57 42 14.